a Fête a mûrie en mon absence. Non seulement il est plus tard (c'est presque déjà la Toussaint), mais les Célébrants ont vieillis eux aussi.
De jeunes gens qui, sans se soucier de l’heure qu’il est (et de l’école où ils devront aller demain), font de leur soirée quelque chose de mémorable. Il est maintenant trop tard pour la cueillette de friandises, la plupart des gens étant couchés, alors ils déambulent les rues dans toutes les directions en mangeant ce qu'ils ont ramassé plus tôt et en appréhendant leur Vie à la couleur de cette Nuit.
Ces deux là ont une drôle de perspective. Ils se sont déguisés en mages, c’est-à-dire qu’ils ont revêtu de grandes toges noires et se sont garnis de ceintures, où ils ont attaché poches de cuir, plumes, crânes de rongeurs. L’un d’eux tient même un gros livre (le Miroir de la Magie de Kurt Seligmann, je crois, ouvrage publié vers la moitié du 20ème siècle et traitant de l'histoire de la Magie, de la Sorcellerie et des sciences occultes) en guise de grimoire. Le sourire aux lèvres (mais le cœur ouvert au sérieux du Mystère), les deux apprentis sorciers invoquent la Lune et les Planètes, implorent les Ombres des Limbes de se manifester pour leur révéler tous les secrets: la Pierre Philosophale, l’Élixir de Vie, l'Homoncule, le Savoir Divin. Avec une craie ils tracent des symboles arcanes sur l’asphalte et consacrent ainsi certaines rues au Feu, à l’Air, à la Terre, à l’Eau. Ils s’arrêtent, s’agenouillent un en face à l’autre, ouvrent une gourde et prennent quelques gorgées de vin. Ceci fait ils continuent.
Un groupe de jeunes s’approche des deux mages; ce sont des gens qu’ils connaissent sans doute dans leur vie scolaire, et pour deux secondes la Sombre Mascarade est mise de côté. C’est assez pour que mon attention change vers ces nouveaux venus.
Ils sont plus vieux, plus cyniques, plus orgueilleux, et ne sont pas déguisés. Mais à leur façon, et sans le savoir, ils jouent parfaitement le rôle que leur a octroyé la Fête.
Passant près des deux magiciens ils rient sarcastiquement, les rendant mal à l’aise, mais ils ne sont pas assez malicieux pour les harceler. Leur but ce soir est de s'électriser de l’excitation qui flotte partout. Eux aussi ils ont bu, mais avec moins de cérémonie: des bouteilles de bière, lancées par-dessus l’épaule lorsque vides. Les écoutant parler je perçois qu’ils viennent d’effrayer un jeune garçon qui rentrait chez lui et qu’ils lui ont réclamé une poignée de bonbons.
De jeunes gens qui, sans se soucier de l’heure qu’il est (et de l’école où ils devront aller demain), font de leur soirée quelque chose de mémorable. Il est maintenant trop tard pour la cueillette de friandises, la plupart des gens étant couchés, alors ils déambulent les rues dans toutes les directions en mangeant ce qu'ils ont ramassé plus tôt et en appréhendant leur Vie à la couleur de cette Nuit.
Ces deux là ont une drôle de perspective. Ils se sont déguisés en mages, c’est-à-dire qu’ils ont revêtu de grandes toges noires et se sont garnis de ceintures, où ils ont attaché poches de cuir, plumes, crânes de rongeurs. L’un d’eux tient même un gros livre (le Miroir de la Magie de Kurt Seligmann, je crois, ouvrage publié vers la moitié du 20ème siècle et traitant de l'histoire de la Magie, de la Sorcellerie et des sciences occultes) en guise de grimoire. Le sourire aux lèvres (mais le cœur ouvert au sérieux du Mystère), les deux apprentis sorciers invoquent la Lune et les Planètes, implorent les Ombres des Limbes de se manifester pour leur révéler tous les secrets: la Pierre Philosophale, l’Élixir de Vie, l'Homoncule, le Savoir Divin. Avec une craie ils tracent des symboles arcanes sur l’asphalte et consacrent ainsi certaines rues au Feu, à l’Air, à la Terre, à l’Eau. Ils s’arrêtent, s’agenouillent un en face à l’autre, ouvrent une gourde et prennent quelques gorgées de vin. Ceci fait ils continuent.
Un groupe de jeunes s’approche des deux mages; ce sont des gens qu’ils connaissent sans doute dans leur vie scolaire, et pour deux secondes la Sombre Mascarade est mise de côté. C’est assez pour que mon attention change vers ces nouveaux venus.
Ils sont plus vieux, plus cyniques, plus orgueilleux, et ne sont pas déguisés. Mais à leur façon, et sans le savoir, ils jouent parfaitement le rôle que leur a octroyé la Fête.
Passant près des deux magiciens ils rient sarcastiquement, les rendant mal à l’aise, mais ils ne sont pas assez malicieux pour les harceler. Leur but ce soir est de s'électriser de l’excitation qui flotte partout. Eux aussi ils ont bu, mais avec moins de cérémonie: des bouteilles de bière, lancées par-dessus l’épaule lorsque vides. Les écoutant parler je perçois qu’ils viennent d’effrayer un jeune garçon qui rentrait chez lui et qu’ils lui ont réclamé une poignée de bonbons.
Mais ils n’ont pas nui à l’Halloween en faisant ça; la Fête profite de la particularité de tous.
Mes deux mages ne sont pas loin, assis sur une chaîne de trottoir et regardant ces célébrants pleins d’Affront.
Soudainement, de la neige. Des petits flocons nerveux qui volent dans toutes les directions et qui disparaissent en atteignant le sol.
Les deux mages et les quatre Joyeux Effrontés se tournent vers le ciel, une surprise qui doit être commune à tout ce qui peut Voir, que ce soit le lapin dans la forêt où la corneille dans l’arbre.
Puis quelqu’un se ressaisit, un des quatre.
"Regardez bien ça le gros flocon qui va tomber," dit-il en courant vers le balcon d’une maison. Rendu là il prend la citrouille éteinte et il revient à ses amis. Les regardant, plein de sourire, il lève cette citrouille au-dessus de sa tête et la propulse aussi fort qu’il le peut. Elle vole, perd son petit couvercle naturel, la chandelle qu’il y avait à l’intérieur, et même si elle s’apprête à exploser elle continue de sourire.
Je vois la trajectoire de cette citrouille dans les moindres détails. Ce soir tout prend pour moi des profondeurs inhabituelles, tout se gonfle de répercussions. En atteignant le sol la citrouille se déforme, s'aplatit sur le béton puis éclate et vole en morceaux, un énorme bourgeon orange. C’est fascinant, viscéral, comme dépouille. L’intérieur humide brille à la lueur de la lune et des lampadaires, et absorbe les flocons qui s'y déposent.
J’entends un des Mages dire: "Sacrilège!" Ils se lèvent tous les deux et partent.
Quant aux Quatre que la Nuit a rendus destructeurs, ils s’en vont aussi, riant et voulant répéter ce jeu vandale. Oui, ils servent la Soirée. Ils effectuent le Rituel de Fin d’Halloween; je les laisse aller. Je ne leur en veux pas, mais je ne tiens pas à être avec eux non plus.
Je n’ai pas encore la volonté nécessaire pour bouger. La neige tombe sur moi, je regarde les nuages encadrer la lune. Je vois que prennent fin ce soir l’Automne et l’Halloween, et que l’Hiver commence.
La somnolence gonfle mon corps tout entier. C’est fini. Je ne sais plus où aller. Avec un brin de panique je réalise que je ne sais même plus où je suis. Pour me débarrasser de cette sensation je me lève et je marche. Ne reconnaissant pas mon entourage, et n'ayant plus d'objectifs prochains, je me retrouve en Perception Complète de ce qui m’entoure. Pendant quelques kilomètres je marche et je regarde, et j'oublie un peu.
Je vois quelques autres cadavres de citrouilles que les enfants trouveront demain matin, en se rendant à l'école; des banderoles déchirées qui pendent, inertes; une petite boîte de carton orange, pour la charité, que quelqu’un a éventrée pour en voler le contenu; un masque brisé, abandonné dans l’herbe; des emballages de bonbons, carcasses de plaisir; des sacs à vidanges peinturlurés de dessins de citrouilles, remplis de feuilles mortes en putréfaction; une personne solitaire, déguisée en vieille femme, mais marchant le pas de la jeunesse; quelques voitures qui n’ont pas leur place dans ce monde; des feuilles mortes par terre, légèrement givrée.
Puis j'arrive près de la Rivière, et tout me revient. Mes derniers jours sont intacts dans ma mémoire. Il est temps pour moi de clore la Fête.
Je m’arrête. Je déballe une de ces sphères de gomme orange avec yeux et bouche de citrouille, et je la dépose dans le réceptacle de cuir de ma fronde. Visant bien je tire dans la fenêtre d’une maison qui par son manque de décorations repoussait l’Halloween, et le verre se fracasse, un son si limpide.
Moi je cours, l’Hiver est là et il est temps pour moi de retourner dans l’Hibernation, dans le corps de cet autre Moi, ce jeune homme qui en ce moment doit --- comme dix-huit ans auparavant --- ne pas vouloir dormir par réticence de mettre fin à la journée.
Je vais m’asseoir sous sa fenêtre et attendre; à minuit, quand il s’endormira, sans qu’il le perçoive je retournerai en lui, avec tout ce que j’ai Vu.
Mes deux mages ne sont pas loin, assis sur une chaîne de trottoir et regardant ces célébrants pleins d’Affront.
Soudainement, de la neige. Des petits flocons nerveux qui volent dans toutes les directions et qui disparaissent en atteignant le sol.
Les deux mages et les quatre Joyeux Effrontés se tournent vers le ciel, une surprise qui doit être commune à tout ce qui peut Voir, que ce soit le lapin dans la forêt où la corneille dans l’arbre.
Puis quelqu’un se ressaisit, un des quatre.
"Regardez bien ça le gros flocon qui va tomber," dit-il en courant vers le balcon d’une maison. Rendu là il prend la citrouille éteinte et il revient à ses amis. Les regardant, plein de sourire, il lève cette citrouille au-dessus de sa tête et la propulse aussi fort qu’il le peut. Elle vole, perd son petit couvercle naturel, la chandelle qu’il y avait à l’intérieur, et même si elle s’apprête à exploser elle continue de sourire.
Je vois la trajectoire de cette citrouille dans les moindres détails. Ce soir tout prend pour moi des profondeurs inhabituelles, tout se gonfle de répercussions. En atteignant le sol la citrouille se déforme, s'aplatit sur le béton puis éclate et vole en morceaux, un énorme bourgeon orange. C’est fascinant, viscéral, comme dépouille. L’intérieur humide brille à la lueur de la lune et des lampadaires, et absorbe les flocons qui s'y déposent.
J’entends un des Mages dire: "Sacrilège!" Ils se lèvent tous les deux et partent.
Quant aux Quatre que la Nuit a rendus destructeurs, ils s’en vont aussi, riant et voulant répéter ce jeu vandale. Oui, ils servent la Soirée. Ils effectuent le Rituel de Fin d’Halloween; je les laisse aller. Je ne leur en veux pas, mais je ne tiens pas à être avec eux non plus.
Je n’ai pas encore la volonté nécessaire pour bouger. La neige tombe sur moi, je regarde les nuages encadrer la lune. Je vois que prennent fin ce soir l’Automne et l’Halloween, et que l’Hiver commence.
La somnolence gonfle mon corps tout entier. C’est fini. Je ne sais plus où aller. Avec un brin de panique je réalise que je ne sais même plus où je suis. Pour me débarrasser de cette sensation je me lève et je marche. Ne reconnaissant pas mon entourage, et n'ayant plus d'objectifs prochains, je me retrouve en Perception Complète de ce qui m’entoure. Pendant quelques kilomètres je marche et je regarde, et j'oublie un peu.
Je vois quelques autres cadavres de citrouilles que les enfants trouveront demain matin, en se rendant à l'école; des banderoles déchirées qui pendent, inertes; une petite boîte de carton orange, pour la charité, que quelqu’un a éventrée pour en voler le contenu; un masque brisé, abandonné dans l’herbe; des emballages de bonbons, carcasses de plaisir; des sacs à vidanges peinturlurés de dessins de citrouilles, remplis de feuilles mortes en putréfaction; une personne solitaire, déguisée en vieille femme, mais marchant le pas de la jeunesse; quelques voitures qui n’ont pas leur place dans ce monde; des feuilles mortes par terre, légèrement givrée.
Puis j'arrive près de la Rivière, et tout me revient. Mes derniers jours sont intacts dans ma mémoire. Il est temps pour moi de clore la Fête.
Je m’arrête. Je déballe une de ces sphères de gomme orange avec yeux et bouche de citrouille, et je la dépose dans le réceptacle de cuir de ma fronde. Visant bien je tire dans la fenêtre d’une maison qui par son manque de décorations repoussait l’Halloween, et le verre se fracasse, un son si limpide.
Moi je cours, l’Hiver est là et il est temps pour moi de retourner dans l’Hibernation, dans le corps de cet autre Moi, ce jeune homme qui en ce moment doit --- comme dix-huit ans auparavant --- ne pas vouloir dormir par réticence de mettre fin à la journée.
Je vais m’asseoir sous sa fenêtre et attendre; à minuit, quand il s’endormira, sans qu’il le perçoive je retournerai en lui, avec tout ce que j’ai Vu.