ne vision personnelle, une apparition de moi-même, incidence du retour graduel à ce que je suis à la base: cet autre moi que j'ai croisé dans le cimetière.
Je connais très bien l’origine de cette vision. C’est un épisode ancien de la vie que j’ai en temps normal, une vision liée au Passé, au Temps, au Souvenir.
Je connais très bien l’origine de cette vision. C’est un épisode ancien de la vie que j’ai en temps normal, une vision liée au Passé, au Temps, au Souvenir.
Cependant ça ne se présente pas à moi exactement comme je l’ai vécu jadis, mais plutôt de l’extérieur, comme si j’étais espion de moi-même…
Je reviens de ma cueillette annuelle, déguisé en médecin. Ma mère a parcourue les rues avec moi, et quand j’y pense ou que je vois ce sac plein de bonbons, je suis content. J’ai un peu froid aux mains, au nez, et malgré le plaisir que j’ai, j’ai hâte d’être revenu chez moi. Je suis un peu fatigué. Ma mère vient de me demander:
- Veux-tu aller à cette maison là?
- Non-non.
- Veux-tu retourner à la maison?
- Oin.
On repasse devant les maisons où plus tôt je suis allé sonner; sans trop parler on retourne chez nous. J’ai un grand manteau blanc, une "chienne de docteur" comme dit ma mère, avec des petites lunettes bleues et une trousse de médecin brune qui ferme mal (et donc que ma mère porte pour moi sauf quand vient le temps d'aller sonner à une maison). C’est un kit de docteur que j’ai eu à ma fête, au mois de mars.
On passe devant le dépanneur, on est proche de chez nous. Sur le gros réfrigérateur à glace qu'il y a dehors, il y a trois citrouilles sur de la paille. Il y a des squelettes de cartons dans les fenêtres, et les employés sont déguisés. La madame déguisée en princesse me sourit. On continue. Alors qu'on passe devant une maison blanche et dégarnie, je la regarde attentivement, intrigué par son manque de charme. Puis c’est la maison beige avec les gros arbres. Ensuite c’est la maison de Monsieur Desmarais, me dit ma mère. Je ne sais pas trop qui c'est. Puis c'est une autre maison blanche, mais plus belle par sa grande stature. C’est la maison de nos voisins André et Louise qui ont un gros chien berger-allemand. Ils sont gentils. Finalement c’est ce géant qu’est mon bloc-appartement, la brique rouge et brune étant particulièrement sombre la nuit, entouré d’arbres griffus et squelettiques, une vision spectrale…
Mais --- Ô Paradoxe --- c’est chez moi. C’est le lieu qui dans tout le monde m’est le plus familier. Et c’est là que, content de pouvoir enfin me reposer les jambes, je m’en retourne. Mes petits pieds au bout de mes petites jambes donnent de grands coups de pieds dans les feuilles mortes; ma mère me regarde du coin de l'œil, ses longs cheveux noirs flottant un peu derrière elle.
On contourne la maison jusqu’en arrière, passant par l’entrée pour voitures (à gauche de la maison) puis on monte les marches de notre galerie en métal. Ma mère me lâche la main (et le froid vient mordre la douce moiteur de nos mains combinées) et ouvre la porte blanche. On entre.
Ma chatte Pitchounette vient à notre rencontre. Me sentant enjoué, je lui dis: "Aye, viens pas dans mon sac."
Je reviens de ma cueillette annuelle, déguisé en médecin. Ma mère a parcourue les rues avec moi, et quand j’y pense ou que je vois ce sac plein de bonbons, je suis content. J’ai un peu froid aux mains, au nez, et malgré le plaisir que j’ai, j’ai hâte d’être revenu chez moi. Je suis un peu fatigué. Ma mère vient de me demander:
- Veux-tu aller à cette maison là?
- Non-non.
- Veux-tu retourner à la maison?
- Oin.
On repasse devant les maisons où plus tôt je suis allé sonner; sans trop parler on retourne chez nous. J’ai un grand manteau blanc, une "chienne de docteur" comme dit ma mère, avec des petites lunettes bleues et une trousse de médecin brune qui ferme mal (et donc que ma mère porte pour moi sauf quand vient le temps d'aller sonner à une maison). C’est un kit de docteur que j’ai eu à ma fête, au mois de mars.
On passe devant le dépanneur, on est proche de chez nous. Sur le gros réfrigérateur à glace qu'il y a dehors, il y a trois citrouilles sur de la paille. Il y a des squelettes de cartons dans les fenêtres, et les employés sont déguisés. La madame déguisée en princesse me sourit. On continue. Alors qu'on passe devant une maison blanche et dégarnie, je la regarde attentivement, intrigué par son manque de charme. Puis c’est la maison beige avec les gros arbres. Ensuite c’est la maison de Monsieur Desmarais, me dit ma mère. Je ne sais pas trop qui c'est. Puis c'est une autre maison blanche, mais plus belle par sa grande stature. C’est la maison de nos voisins André et Louise qui ont un gros chien berger-allemand. Ils sont gentils. Finalement c’est ce géant qu’est mon bloc-appartement, la brique rouge et brune étant particulièrement sombre la nuit, entouré d’arbres griffus et squelettiques, une vision spectrale…
Mais --- Ô Paradoxe --- c’est chez moi. C’est le lieu qui dans tout le monde m’est le plus familier. Et c’est là que, content de pouvoir enfin me reposer les jambes, je m’en retourne. Mes petits pieds au bout de mes petites jambes donnent de grands coups de pieds dans les feuilles mortes; ma mère me regarde du coin de l'œil, ses longs cheveux noirs flottant un peu derrière elle.
On contourne la maison jusqu’en arrière, passant par l’entrée pour voitures (à gauche de la maison) puis on monte les marches de notre galerie en métal. Ma mère me lâche la main (et le froid vient mordre la douce moiteur de nos mains combinées) et ouvre la porte blanche. On entre.
Ma chatte Pitchounette vient à notre rencontre. Me sentant enjoué, je lui dis: "Aye, viens pas dans mon sac."
Son visage de chat me regarde; elle cligne des yeux.
"Bon, enlève tes souliers pis ton costume, qu’on te mette en pyjama," me dit ma mère.
Sans lâcher mon sac, je traverse la cuisine et je me rends jusqu’à ma chambre. Je me mets sur la pointe des pieds pour atteindre l'interrupteur et allumer la lumière. Je marche sur le plancher de bois, il craque un peu, et je renverse tout le contenu de mon sac sur mon lit. Ça fait une belle montagne, ou plutôt une belle colline de petits objets multicolores.
Me souvenant de ce que ma mère m’a demandé je retire mon déguisement et, avec difficulté (ayant oublié de retirer mes souliers), j’enlève mes pantalons.
L’Halloween est finie.
"Bon, enlève tes souliers pis ton costume, qu’on te mette en pyjama," me dit ma mère.
Sans lâcher mon sac, je traverse la cuisine et je me rends jusqu’à ma chambre. Je me mets sur la pointe des pieds pour atteindre l'interrupteur et allumer la lumière. Je marche sur le plancher de bois, il craque un peu, et je renverse tout le contenu de mon sac sur mon lit. Ça fait une belle montagne, ou plutôt une belle colline de petits objets multicolores.
Me souvenant de ce que ma mère m’a demandé je retire mon déguisement et, avec difficulté (ayant oublié de retirer mes souliers), j’enlève mes pantalons.
L’Halloween est finie.
Moi, l’Observateur de tout ça, espion surnaturel, je vole tout autour de ce Passé lointain, je passe comme le Vent dans ma maison, mais j’observe aussi de l’extérieur, par les fenêtres. Cependant toutes les pensées de ce Jeune Moi me viennent instantanément.
En cet instant où je me dévêts, je pense à la nuit et au jour. J’ai de la difficulté à saisir la nature du passage de l’un à l’autre, d’une journée à une autre. Je n’ai pas envie de dormir ce soir, car je n’ai pas envie que ce jour précis se termine. Si je ne dors pas, tant que je ne dors pas, la journée ne peut pas finir, non? Aujourd’hui, hier et demain me semblent tous être des mondes complètement différents, où je n’ai pas les mêmes sensations dans la tête, où des événements complètement dissociables se produisent, où je suis quelqu’un de différent. Si je ne dors pas je peux prolonger l’Aujourd’hui, ce moment que j’aime tant, et la Nuit s'étirera en conséquence. C’est lorsque je suis dans le sommeil que vient le jour, ils sont liés, et je ne veux ni de un ni de l’autre. C’est presque comme si mon sommeil amenait le jour.
Je suis sorti de cette Contemplation par la voix de ma mère.
"Simon, viens montrer ton costume à ton père," me dit-elle.
Moi je suis déjà à moitié changé, il ne me reste que le bas du pyjama à enfiler.
"J'l’ai enlevé…"
"Bein remets le," dit mon père.
Pour moi l’essentiel du costume se résume aux lunettes et à la trousse de médecin, alors c’est ce que j’emmène. Je sors de ma chambre comme mon père rentre dans les toilettes.
"Papa," j’appelle.
"Juste une minute," me dit-il en défaisant la fermeture de ses pantalons et en s’assoyant, cette manière qu’il a d’aller aux toilettes sans fermer la porte.
Je vais dans le salon et je regarde la télé qu’ils ont allumée. Je dépose ma trousse, en attendant. Je m’assois par terre. C’est long. Je regarde un peu l’aquarium, puis j'accroche mon stéthoscope et me lève car j’ai vu un poisson qui nage vite et je veux le regarder de plus près.
Mon père et ma mère reviennent en même temps, l’un des toilettes, l’autre de sa chambre avec un appareil photo dans ses mains.
Mon Esprit a volé à l’extérieur de la maison, et c’est par ces grandes fenêtres carrelées qu’avec mes yeux de feu je me vois de dos.
Je suis sorti de cette Contemplation par la voix de ma mère.
"Simon, viens montrer ton costume à ton père," me dit-elle.
Moi je suis déjà à moitié changé, il ne me reste que le bas du pyjama à enfiler.
"J'l’ai enlevé…"
"Bein remets le," dit mon père.
Pour moi l’essentiel du costume se résume aux lunettes et à la trousse de médecin, alors c’est ce que j’emmène. Je sors de ma chambre comme mon père rentre dans les toilettes.
"Papa," j’appelle.
"Juste une minute," me dit-il en défaisant la fermeture de ses pantalons et en s’assoyant, cette manière qu’il a d’aller aux toilettes sans fermer la porte.
Je vais dans le salon et je regarde la télé qu’ils ont allumée. Je dépose ma trousse, en attendant. Je m’assois par terre. C’est long. Je regarde un peu l’aquarium, puis j'accroche mon stéthoscope et me lève car j’ai vu un poisson qui nage vite et je veux le regarder de plus près.
Mon père et ma mère reviennent en même temps, l’un des toilettes, l’autre de sa chambre avec un appareil photo dans ses mains.
Mon Esprit a volé à l’extérieur de la maison, et c’est par ces grandes fenêtres carrelées qu’avec mes yeux de feu je me vois de dos.
Mon père prononce un quelconque commentaire qui me fait rire sans être drôle, moi je lui montre mon instrument jaune, et à ce moment là un éclair éclabousse mes yeux, me projetant --- moi Esprit --- loin derrière.
Le choc et la Profondeur de mon Souvenir confondent mon intellect. Une Terreur presque Sacrée s’empare de moi face à l’Impact incroyable du Temps, les Changements qu’il nous impose et les Mémoires fragmentées que l’on en préserve. Sous l'influence de cette Terreur, tout s’écroule en moi, et ouvrant les yeux je reviens à moi dans le petit bois, couché sur un pont, les yeux inondés de larmes.
Cette peur terrible ne m’ayant pas quittée je me relève et je cours vers la sortie, ne pouvant plus supporter la présence des arbres autour de moi. Je cherche, j’ai l’impression de me tromper de sentier, mes jambes sont molles et leur manque d'efficacité me rend impatient. Quelqu’un, quelque chose, tire sur ma cape; je ne me retourne pas.
Où est cette sortie…
Une créature gluante touche la surface de ce gros ruisseau. M’a-t-elle vu?
Tout ce qui est Monstrueux semble s'approcher de moi. Mais j’y pense… quand le cycle de la Samhain a commencé, n'ai-je pas dit que j’étais Invulnérable, que vampires et loups-garous ne pouvaient rien contre moi?
La peur ne me quitte pas mais je me force à adopter le rythme de la marche. Dans les profondeurs du bois on rit de moi et on jubile de pouvoir m'attraper. Pourtant j’atteins la sortie sans que rien ne m’arrive, et c'est comme ça que je reviens à la Ville.
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